Souvenir de la nuit du 4 , Les Châtiments, Livre II,3 (1853)
L'enfant avait reçu deux balles dans la tête.
Le logis était propre, humble, paisible, honnête ;
On voyait un rameau bénit sur un portrait.
Une vieille grand'mère était là qui pleurait.
Nous le déshabillions en silence. Sa bouche,
Pâle s'ouvrait ; la mort noyait son oeil farouche ;
Ses bras pendants semblaient demander des appuis.
Il avait dans sa poche une toupie en buis.
On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies.
Avez- vous vu saigner la mûre dans les haies ?
Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend.
L' aïeule regarda déshabîller l'enfant, Disant:
-Comme il est blanc! approchez donc la lampe.
Dieu! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe !
Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux.
La nuit était lugubre; on entendait des coups
De fusil dans la rue où l'on en tuait d'autres.
Il faut ensevelir l' enfant, dirent les nôtres.
Et l'on prit un drap blanc dans l'armoire en noyer.
L'aïeule cependant l'approchait du foyer
Comme pour réchauffer ses membres déjà roides.
Hélas ! ce que la mort touche de ses mains froides
Ne se réchauffe plus aux foyers d'ici-bas !
Elle pencha la tête et lui tira ses bas.
Et dans ses vieilles mains prit les pieds du cadavre.
Jersey. 2 décembre 1852.
Etude de texte :
Introduction:
La poésie, depuis le début de notre Littérature au XI° siècle, a suivi des chemins nombreux et variés. Tantôt épique, elle a chanté la geste de nos héros, tantôt lyrique, elle s’est faite plus intime ou pathétique... Les romantiques, au XIX° siècle, lui donnent l’occasion de s’engager dans la vie sociale et politique.
Le 2 décembre 1851, Louis Napoléon Bonaparte s’empare du pouvoir par un coup d’état . Victor Hugo et quelques autres députés remerciés tentent d’organiser la résistance. Finalement, traqué par la police, Hugo devra fuir Paris pour rejoindre Bruxelles puis Jersey.
Ecrits pendant les années d’exil, Les Châtiments décrivent les réactions de colère et d’indignation du poète à l’égard de Napoléon III et de son administration de la France. Dans la deuxième partie du recueil, ironiquement intitulée " L’ordre est rétabli ", le poète stigmatise les crimes commis par la police et lui oppose les glorieuses armées de la Révolution. Dans " Souvenir de la nuit du 4 ", troisième poème du livre II, Hugo dénonce la force employée pour conquérir un pouvoir qu’il juge ainsi usurpé. Cette force y est présentée dans la première moitié du poème comme aveugle et injuste.
Lecture
RT |
AN |
INT |
I. Un récit et une decriprion pathétiques. |
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Un décor intime et humble |
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Propre, humble, paisible, honnête |
Accumulation Temes appréciatifs : simplicité dépouillement |
intérieur paisible et modeste contaste avec violence déchaînée intrusion |
Honnête |
Indication morale (zeugme) |
S’ajoute à la description objective du lieu : braves gens que H. veut ns faire apprécier |
Rameau bénit sur un portrait Un drap blanc dans l’armoire de noyer Le foyer, la lampe |
Autres éléments du décor : détails de la vie quotidienne, simple, pieuse... |
Nous nous familiarisons avec la vie simple de la vieille femme et son petit fils |
Le logis était On voyait |
Imparfaits description/durée |
Le temps est comme emprisonné ici : il aura fallu ce funeste événement pour que soit dérangé cet ordre immuable |
Premier quatrain |
4 vers = 4 phrases simples touches descript. Succ. |
Nous découvrons par petites touches le lieu et les personnages |
Les personnages |
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L’enfant X 2, le X 2,l’, sa bouche, son, il, ses bras, sa poche, son crâne, ses cheveux, sa tempe, ses membres, ses bas, les pieds du cadavre. |
Détails cliniques de la description + répétition de l’enfant (pathétique) |
VH insiste sur le caractère tragique de l’association mort/enfant et traduit l’horreur obsessionnelle pour le témoin qu’il a choisi d’être (focalisation interne).Le regard revient toujours à cette vision de l'horreur. |
Une vieille grand’mère L’aïeule Ses vieilles mains |
Peu précis, général Pas de nom, de prénom |
Position de pieta. Cette femme symbolise toutes les femmes qui ont perdu un enfant (compassion) |
On voyait un rameau On pouvait mettre un doigt On entendait des coups de fusil |
Des observateurs muets |
VH s’en sert pour des notations descriptives. |
Nous le déshabillions Il faut ensevelir l’enfant dirent les nôtres |
Nous discret + englobant |
L’auteur est sur les lieux (focalisation interne) + permet au lecteur de se reconnaître politiquement dans les nôtres (les républicains) |
Avez-vous vu |
2° pers du pluriel |
Demande directe au lecteur VH nous implique dans ce spectacle de l’horreur |
II. L’indignation et la révolte |
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Avez-vous vu saigner les mûres dans les haies ? Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend |
Images violentes Mûres/sang Crâne/bois |
L’indignation et la révolte de VH s’exprime par ces images violentes Malaise |
On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plais |
Toujours plus atroce |
Montée de la révolte et de l’horreur |
Vers 7,8,9 |
Disposition significative |
Les vers 7 et 9 qui décrivent le corps pourraient se succéder, mais VH brise la continuité de cette évocation funèbre par le vers 8 qui n’a rien à voir vec la mort. Il montre l’aspect inhumain de cette mort en interrompant la description par une évocation de l’enfance, du jeu, de l’insouciance |
Le titre |
Dépouillé, date |
Sobriété paradoxale: Napoléon III a tracé cette date en lettres de sang dans l'Histoire de France. |
L'enfant avait reçu deux balles
dans la tête.
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Situation initiale " in media res " |
Pas de préambule : chronique, journalisme |
Un alexandrin = une phrase |
Régularité, fluidité |
Solennel (épitaphe) |
Hélas ! ce que la mort touche de
ses mains froides Ne se réchauffe plus aux foyers d'ici-bas ! |
Construction comme un proverbe | Généralisation |
L'enfant avait reçu deux balles dans la tête. |
plus que parfait (antériorité) |
évocation implicite des exactions policières : le lecteur sait qui est derrière tout ça |
La nuit était lugubre; on entendait
des coups De fusil dans la rue où l'on en tuait d'autres. |
enjambement, rejet du CDN |
désignation implicite des coupables responsables de l'horreur décrite + généralisation: ce cas ne fut pas unique! |
Conclusion:
Victor Hugo, en exil forcé, ne décolère pas contre le pouvoir qu'il juge usurpé par Napoléon III. Ses armes à des kilomètres de la France ne peuvent être que les mots et la poésie des Châtiments accuse, ridiculise l'empereur. La variété des moyens, de l'anathème à la chanson parodiée, du lyrisme au pathétique, le poète fait feu de tous bois. Ici, c'est notre compassion d'abord que Victor Hugo tente de susciter par une scène pathétique qui devient bien vite le symbole de tant d'autres exactions perpétrées par le nouveau régime. Ce dernier reçoit ainsi de plein fouet la critique accusatrice du témoin de ses méfaits, le réquiqitoire ne tardera pas et la France, le poète l'espère peut-être encore, se libérera du tyran.