"La Mort et le Bûcheron", Fables, I,16 - La Fontaine
Introduction :
Au XVII° siècle, l’idéal classique confie à la littérature la double mission d’instruire et de plaire . Instruire, c’est à dire édifier un public de plus en plus nombreux en lui montrant le modèle de l’Honnête Homme . Plaire, aussi, c’est à dire offrir un spectacle divertissant et érudit.
La Fontaine remplit cette double mission dans ses Fables : apologues en vers dans lesquels les animaux et les hommes à travers des histoires simples et divertissantes préparent une leçon destinée au lecteur. Ainsi dans la fable 16 du livre premier, « La mort et le Bûcheron », offre-t-elle le récit court et saisissant d’un homme face à la mort et bientôt nous invite à réfléchir à l’attitude de chacun face à la même situation.
L’étude linéaire semble particulièrement appropriée s’agissant de souligner la variété des moyens successifs mis en œuvre jusqu’à la leçon.
Un pauvre Bûcheron tout couvert de ramée, Sous le faix du fagot aussi bien que des ans Gémissant et courbé marchait à pas pesants, Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée. |
Situation initiale |
Variété du récit qui donne à entendre les pensées du vieil homme |
Enfin, n’en pouvant plus d’effort et de douleur , Il met bas son fagot, il songe à son malheur. |
Rupture marquée par des indices temporels |
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Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ? En est-il un plus pauvre en la machine ronde ? Point de pain quelquefois, et jamais de repos, Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts, Le créancier, et la corvée Lui font d’un malheureux la peinture achevée. |
Monologue au discours indirect libre : bilan, introspection |
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Il appelle la mort, elle vient sans tarder, Lui demande ce qu’il faut faire C’est, dit-il, afin de m’aider A recharger ce bois ; tu ne tarderas guère |
Le dialogue avec la mort |
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Le trépas vient tout guérir ; Mais ne bougeons d’où nous sommes. Plutôt souffrir que mourir, C’est la devise des hommes. |
Morale |
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Situation initiale |
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Un pauvre Bûcheron tout couvert de ramée, Sous le faix du fagot aussi bien que des ans Gémissant et courbé marchait à pas pesants, Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée. |
Alexandrin régulier : 6/6 |
Monotonie, durée pesante d’une vie triste, peu agréable à vivre. |
Imparfait + Participe présent |
Durée : le poids du temps. |
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Assonances « è » et « é » |
Monotonie, durée et pénibilité. |
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Vers 1 : Un pauvre bûcheron |
Première apparition du bûcheron ; Adjectif suscitant la compassion |
Nous sommes d’emblée guidé sur la voie du pathétique et de la compassion. |
Vers 1 : Tout couvert de ramées |
Hyperbole + assonance « ou » |
Impression de pesanteur. |
Vers 4 : Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée |
Verbe d’effort |
Une difficulté bien légère pourtant : faiblesse du perso. |
Chaumine : terme familier et populaire (modestie du lieu) |
Contribue à notre compassion. |
Rupture |
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Vers 5/6 :Enfin, n’en pouvant plus d’effort et de douleur, Il met bas son fagot, il songe à son malheur. |
Adverbe de temps |
Marque la rupture : la fin est proche. |
Vers 5/6 :Enfin, n’en pouvant plus d’effort et de douleur , Il met bas son fagot, il songe à son malheur. |
[p] [d] [f]+ rythme 2/4/6 |
Sonorités qui miment l’essoufflement. |
Il met bas son fagot, il songe à son malheur. |
6/6 action > pensée |
Vers le bilan introspectif. |
Le monologue intérieur |
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Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ? En est-il un plus pauvre en la machine ronde ? Point de pain quelquefois, et jamais de repos, Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts, Le créancier, et la corvée Lui font d’un malheureux la peinture achevée. |
Recours au discours indirect libre |
Emotion d’entendre le brave homme. |
Vers 7/8 : Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ? En est-il un plus pauvre en la machine ronde ? |
Questions oratoires |
On répond évidemment aucun et non. |
Vers 8 : En est-il un plus pauvre en la machine ronde ? |
Tournure superlative |
Registre élégiaque. |
Vers 9 : Point de pain quelquefois, et jamais de repos, |
Gradation de la souffrance marquée par les adverbes + besoins de base ( faim , repos) Chiasme |
Triste vie ; Met en valeur l’acharnement du sort ! |
Vers 10-11-12 : Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts, Le créancier, et la corvée Lui font d’un malheureux la peinture achevée |
Enumération accablante |
Un bilan tout négatif, Femme et enfant : charge supplémentaire . |
Vers 12 : Lui font d’un malheureux la peinture achevée. |
Double sens de « achevée » précise et prêt a mourir |
Annonce tout naturellement l’appel à la mort. |
Le dialogue avec la mort |
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Il appelle la mort, elle vient sans tarder, |
Phrase composée de deux indépendantes juxtaposées sans lien (asyndète) Raccourci temporel renforcé pas « sans tarder » |
Un appel unique, une arrivée immédiate, tout semble aller de soi. |
Il appelle la mort, elle vient sans tarder, Lui demande ce qu’il faut faire C’est, dit-il, afin de m’aider A charger ce bois ; tu ne tarderas guère |
12/8/8/12 Chiasme rythmique |
Les octosyllabe marquent une rupture avec les alexandrins et montrent le revirement du bûcheron. |
Lui demande ce qu’il faut faire |
Tournure indéfinie |
Montre un dialogue : la mort propose ses services. |
C’est, dit-il, afin de m’aider |
1/2/5 vers croissant locution qui exprime le but |
Montre l’hésitation du bûcheron. |
A charger ce bois ; tu ne tarderas guère |
Connotation double |
Double sens : la mort mettra peu de temps pour recharger le bois et qu’il n’est pas pressé de mourir. |
La leçon |
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Le trépas vient tout guérir |
Présent de vérité général + « tout» |
Met en relation la mort avec la guérison. |
Mais ne bougeons d’où nous sommes |
Phrase métaphorique Paradoxe |
Cette phrase apparaît comme péjorative remis en cause par le « mais ». |
Plutôt souffrir que mourir |
Construction simple avec deux verbes à l’infinitif |
La souffrance est préférable à la mort. |
C’est la devise de tous les hommes |
Présent de vérité général |
Valeur du proverbe. |
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Conclusion :
Cette fable illustre les atouts de l’apologue : un récit bref, une intrigue simple, un personnage familier vite « croqué » par le fabulistet, le tout au service de la leçon. La fable ajoute à toutes ses qualités la variété des discours (monologue intérieur, dialogue) et l’appui musical et rythmique de la versification.
La Fontaine restera le plus célèbre des faiseurs d’apologue sans doute parce qu’il aura su mieux que quiconque concilier, pour reprendre sa formule, « le Corps et l’Ame de la fable ».