"La fontaine de sang" de Charles BAUDELAIRE

Texte extrait des Fleurs du Mal

Il me semble parfois que mon sang coule à flots,
Ainsi qu'une fontaine aux rythmiques sanglots.
Je l'entends bien qui coule avec un long murmure,
Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure.

À travers la cité, comme dans un champ clos,
Il s'en va, transformant les pavés en îlots,
Désaltérant la soif de chaque créature,
Et partout colorant en rouge la nature.

J'ai demandé souvent à des vins captieux
D'endormir pour un jour la terreur qui me mine ;
Le vin rend œil plus clair et l'oreille plus fine !

J'ai cherché dans l'amour un sommeil oublieux ;
Mais l'amour n'est pour moi qu'un matelas d'aiguilles
Fait pour donner à boire à ces cruelles filles !

I. Une allégorie du lyrisme poétique (2 quatrains)

Cette hémorragie est la traduction physique de la tendance du sujet lyrique à se répandre au-dehors :

Mon sang coule à flots

hyperbole

Métaphore du lyrisme et mise en pratique par l’hyperbole

me / mon / Je /je me

1ère personne ds 1er quatrain

Absente 2° quatrain

Marque du lyrisme

Dans le 2° quatrain ce lyrisme dépasse le poète et « inonde » le monde

À travers la cité

Ccl  du 2° quatrain

Elargit la vision : le lyrisme du poète transfigure le monde

À travers la cité, comme dans un champ clos,

Double mouvement : élargissement/limitation

Reste une vision  de l’imaginaire

Il me semble parfois que mon sang coule à flots,
Ainsi qu'une fontaine aux rythmiques sanglots.

Je l'entends bien qui coule avec un long murmure,

Epithète plutôt méliorative qui connote la musicalité du poème + sanglot

Métaphore filée du lyrisme et de la création poétique : sil fait entendre des "sanglots", ces derniers sont "rythmiques" et se résorbent en "un long murmure" analogue à celui du poème lui-même.

Long murmure = connote le poème et la poésie

mon sang coule à flots

Dualité de cette expression : sang qui coule= mort mais mon sang coule à flots = vie débordante

Complexité du spleen baudelairien= souffrance délétère et créatrice (Les Fleurs du Mal)

Je l'entends bien qui coule avec un long murmure,
Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure.

Allégorie du spleen

Cet état de souffrance dont on ne sait jamais l’origine exacte (mélancolie du poète)

Il s'en va, transformant les pavés en îlots,

3/3/3/3

Premier tétramètre du poème 

Solennité contemplative : le poète spectateur de son imaginaire presque malgré lui

transformant les pavés en îlots

Mise en apposition + verbe qui connote la création poétique + pavés/îlots qui connotent respectivement réel et imaginaire + îlots qui fait référence à l’exotisme baudelairien

Cette apposition résume la démarche transfiguratrice du poète :

1. spleen

2. lyrisme

3. un autre monde

Désaltérant la soif de chaque créature,
Et partout colorant en rouge la nature.

Deux vers ambigus : voc. mélioratif(désaltérant la soif)

Et termes inquiétants : créature (sens exact ?) rouge (vision rouge ?)

Ces deux derniers vers des quatrains signale la réussite mitigée du poète : son lyrisme, sa créativité changent le monde mais la peur demeure…

.

II. le spleen et la terreur de la création poétique  (2 tercets)

Les tercets font état de cette "terreur" qu’inspire au poète cet épanchement involontaire, que les quatrains évoquent

J'ai demandé… vins

J'ai cherché… amour

Anaphore des débuts de tercets + deux verbes qui dénotent les tentatives du poète de conjurer sa peur+ deux « divertissements » de choix

Le poète semble terrifié

D'endormir

sommeil oublieux

CLx du sommeil et de l’oubli

Le poète aspire à un peu de répit

Ds les deux tercets

Les sonorités sont d’abord douces (tentative d’apaisement) puis deviennent dures et aiguës (échec)

Chaque tercet raconte l’impossible échappatoire

J'ai demandé souvent à des vins captieux
D'endormir pour un jour la terreur qui me mine ;

Allégorie du divertissement :

Les vins ne sont pas tant capiteux que captieux (jeu visuel et sonore)

Echec et mensonge des paradis artificiels pour tromper l’angoisse du poète

D'endormir pour un jour la terreur qui me mine ;

3/3/3/3

Lutte entre allitération en [m] (apaisement) et le double [r] où encore la voyelle aiguë [i] (fébrilité)

Le poète exprime avec des accents de sincérité sa permanente angoisse et l’échec de ses tentatives pour la juguler

Le vin rend œil plus clair et l'oreille plus fine !

Synesthésie : goût/vue/ouïe

+ exclamation

Révélation née de l’expérience : l’ivresse aiguise le lyrisme et ne le rend pas plus supportable

Le vin rend œil plus clair et l'oreille plus fine !

PVG

Verdict sans appel : échec du divertissement…

Mais l'amour n'est pour moi qu'un matelas d'aiguilles

L’opposition implicite du 1er tercet devient explicite

échec

Mais l'amour n'est pour moi qu'un matelas d'aiguilles

Métaphore très concrète : le matelas connote les plaisirs de la chair mais le CDN rappelle que l’amour n’est jamais tranquille

Autre vision négative

Mais l'amour n'est pour moi qu'un matelas d'aiguilles
Fait pour donner à boire à ces cruelles filles !

On retrouve l’exclamation +

Reprise de « Désaltérant la soif de chaque créature, »
ds  Fait pour donner à boire à ces cruelles filles

Un lien peut-être entre la femme muse, inspiratrice et bénéficiaire du poème mais l’adjectif (cruelles) dit l’ingratitude comme récompense

Une fois l'engourdissement passé, que peut apporter le vin ou l'amour, la douleur est toujours là, présente.