Commentaire : Vous commenterez le texte de La Bruyère (texte A).
TEXTE A - Jean de La Bruyère, Les Caractères, "De l'homme"
Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes
ensemble sont à son égard comme s'ils n'étaient point. Non content de remplir
à une table la première place, il occupe lui seul celle de deux autres ; il
oublie que le repas est pour lui et pour toute la compagnie ; il se rend maître
du plat, et fait son propre1 de chaque service : il ne s'attache à aucun des
mets, qu'il n'ait achevé d'essayer de tous ;il voudrait
pouvoir les savourer tous tout à
meilleur lit. Il tourne tout à son usage ; ses valets, ceux d'autrui, courent dans le même temps pour son service. Tout ce qu'il trouve sous sa main lui est propre, hardes9, équipages10. Il embarrasse tout le monde, ne se contraint pour personne, ne plaint personne, ne connaît de maux que les siens, que sa réplétion11 et sa bile, ne pleure point la mort des autres, n'appréhende que la sienne, qu'il rachèterait volontiers de l'extinction du genre humain.
Proposition de plan
I. Un caractère ou l’art du portrait
A. Description et action.
B. Caricature et registre comique.
II. Un caractère ou l’art de la critique
A. La critique de l’égoïsme.
B. La critique des « grands ».
I. Un caractère ou l’art du portrait
A. Description et action.
Il s’agit d’un portrait et on pourrait s’attendre à une description (verbes d’état et de perception, imparfait… ) au lieu de quoi nous avons un portrait « en action » :
il se rend maître fait son propre se sert manie les viandes, les remanie, démembre, déchire, et en use enlève … |
Nombreux verbes d’action + accumulation |
Une description vivante du personnage en action et une description qui sature le lecteur d’images |
Présent de narration |
Le récit est réactualisé : il semble qu’on le voit en action et qu’i est bien réel |
|
Première phrase |
Introduction : un égoïste |
Trois séries de situations où l’on voit Gnathon en action (sorte d’emploi du temps) Le lecteur « suit » le personnage… |
Lignes 2 à 11 à une table le repas, plat Il mange, il continue à manger |
Gnathon à table Lexique du repas ss ttes ses formes |
|
Ligne 11 à 16 quelque part où il se trouve, au sermon ou au théâtre dans sa chambre dans un carrosse dans les hôtelleries dans la meilleure chambre le meilleur lit. |
Gnathon hors de chez lui et en voyage : Nombreux compléments de lieux où ns le suivons |
|
Lignes 16 à 20 ses valets, ceux d’autrui, tout le monde, personne, des autres, n’appréhende que la sienne, genre humain. Genre humain. |
Gnathon et les autres Lexique qui va s’élargissant sur le mode lui et les autres, ts les autres |
|
Phrase2 : Non content de remplir…, il occupe… ; il oublie… ; il se rend maître du plat, et fait… : il ne s’attache… ;il voudrait pouvoir les savourer tous tout à la fois. |
Longues phrases composées d’indépendantes dont le sujet est tjrs « il » + nbreux verbes (principalement vbes d’action) |
Très nombreux comportements qui petit à petit nous le rendent familier comme si nous avions partagé ses voyages, ses repas… |
il oublie que il voudrait pouvoir ne souffre pas ne connaît de maux que les siens |
Fausse focalisation externe puisqu’on nous livre ses pensées |
LB feint une observation objective mais instille des éléments de la pensée du pers. |
28 il 2 lui 12 son/ses/sa soi |
Marques de la première personne |
Un portrait qui se fait systématiquement par opposition lui/les autres |
tous les hommes deux autres toute la compagnie les conviés plusieurs ses valets |
Nombreux pluriels qui désignent les autres |
B. Caricature et registre comique.
La Bruyère fait du « caractère » un portrait qui souvent va jusqu’à la caricature pour bien marquer les esprits et concentre en un seul toutes les caractéristiques du défaut qu’il dénonce :
la table est pour lui un râtelier |
Métaphore table/râtelier (assemblage de barreaux contenant le fourrage du bétail) |
Gnathon est présenté comme un animal (inhumanité du personnage) Résume sa façon de manger |
tous les hommes ensemble sont à son égard comme s'ils n'étaient point les savourer tous tout à la fois qu'il faut que les conviés, s'ils veulent manger, mangent ses restes …etc |
hyperboles |
Exagèrent le comportement excessif du pers. Jusqu’au burlesque. |
Non content de remplir à une table la première place, il occupe lui seul celle de deux autres |
gradations |
Toujours le souci du trait marquant au-delà du vraisemblable, toujours plus loin dans la caricature (principe du personnage-caractère) |
il manie les viandes2, les remanie, démembre, déchire |
||
Il mange haut et avec grand bruit |
Redondance : Haut veut dire avec grand bruit |
|
s'ils veulent manger, mangent ses restes |
répétitions |
Insistent sur les défauts du pers. |
Il embarrasse tout le monde, ne se contraint pour personne, ne plaint personne |
||
dans la meilleure chambre le meilleur lit |
||
il occupe lui seul celle de deux autres |
Antithèse et hyperbole |
Registre comique |
le jus et les sauces lui dégouttent du menton et de la barbe ; s'il enlève un ragoût de dessus un plat, il le répand en chemin dans un autre plat et sur la nappe ; on le suit à la trace |
Détails nombreux, lexiques mêlés : corps/nourriture + art de la formule finale : « on le suit à la trace » |
On hésite entre rire et dégoût |
dans toute autre, si on veut l'en croire, il pâlit et tombe en faiblesse |
Incidente conditionnelle qui semble infirmer les deux verbes qui suivent et qui décrivent l’évanouissement |
On ne croit pas une seconde à ce « cinéma » : comique du ridicule |
L’art du portrait vivant se met au service d’une double critique : celle de l’égoïsme et celle des grands qui ont trop souvent ce défaut.
II. Un caractère ou l’art de la critique
A. La critique de l’égoïsme
Gnathon ne vit que pour soi |
Première phrase : phrase déclarative qui définit l’égoïsme |
Même si LB n’utilise pas le terme, il s’agit bien du portrait d’un égoïste |
Il embarrasse tout le monde, ne se contraint pour personne, ne plaint personne, ne connaît de maux que les siens, …ne pleure point la mort des autres, n'appréhende que la sienne, qu'il rachèterait volontiers de l'extinction du genre humain |
Phrases finales qui font écho à la première pour décrire le caractère de l’égoïste |
Comme tjrs ds les Caractères, le personnage présente en « concentré » les caractéristiques du défaut incriminé (voir caricature ci-dessus) |
il oublie que le repas est pour lui et pour toute la compagnie |
Verbe + connotation de la convivialité |
L’égoïsme conduit à l’associabilité |
il faut que les conviés, s'ils veulent manger, mangent ses restes |
Antithèse entre ces deux mots |
|
Il ne leur épargne aucune de ces malpropretés dégoûtantes + description détaillée qui suit |
Tournure hyperbolique et voc. Péjoratif + redondance |
L’égoïsme conduit à la goujaterie et souligne la disparition du savoir-vivre et de la bienséance si importants au XVII° dans ce monde + goinfrerie=mauvaise hygiène de vie |
Il embarrasse tout le monde, ne se contraint pour personne, ne plaint personne, ne connaît de maux que les siens, que sa réplétion et sa bile, ne pleure point la mort des autres, n'appréhende que la sienne, qu'il rachèterait volontiers de l'extinction du genre humain. |
Tournures négatives et restrictives + répétition et alternance : tout pour lui/rien pour les autres |
L’égoïsme conduit à la tyrannie et au mépris de l’autre (inhumanité du pers.) |
rachèterait volontiers de l'extinction du genre humain |
Phrase conclusive Etape ultime de la progression dans l’excès |
Sa vie > la vie de l’humanité : forme extrême d’un égoïsme poussé à son terme |
B. La critique des « grands ».
On peut voir une critique plus ciblée de cet égoïsme si on considère que Gnathon est un noble hautain et tyrannique :
il ne s'attache à aucun des mets, qu'il n'ait achevé d'essayer de tous ;il voudrait pouvoir les savourer tous tout à la fois |
pluriels |
Une table des meilleures : nous sommes chez un noble |
au sermon au théâtre un carrosse un voyage les hôtelleries ses valets équipages |
Vocabulaire qui décrit un train de vie accessible à peu de gens |
Gnathon est bien un « grand » |
les conviés, s'ils veulent manger, mangent ses restes |
Peut connoter les injustices liées aux privilèges de la noblesse |
Ces restes ne seraient-ils pas symboliquement ce qui reste pour vivre à ceux qui ne peuvent se payer le luxe d’être égoïstes parce qu’ils ne sont pas si bien nés ? |
Ce portrait montre la force argumentative du genre : à la fois divertissant, caricatural et sévère, il permet de dénoncer les abus de son temps.